Pr Rachid Bekkaj
Sociologue
La prise en compte des conditions sociales au Maroc, pendant et après la mise en quarantaine, fait partie des sujets qui interpellent aujourd’hui l’esprit du sociologue marocain soucieux des enjeux et des préoccupations de sa communauté. Il faut signaler que le présent essaie s’inscrit dans le contexte de prédiction sociologique des conséquences de la restriction en tenant compte des mesures prises par le gouvernement marocain ainsi que la manière dont cette atténuation a été gérée. Dans cette logique notre approche vise à déterminer la situation sociale afin de pouvoir expliquer ce qui se passe et comment cela se passe.
L’épidémie covid19, qui a certes changé le mode de vie des marocains, a une dimension sociologique. La société doit reconnaitre que la médecine, comme science incontestablement valorisée, a un rôle limité qui se joue au niveau du traitement médical. Reconnaître cette réalité ne met pas la sociologie en état de compétition avec la médecine. Loin de là, car la relation de la biologie avec la sociologie est une relation de base épistémologique. L’épidémie du coronavirus a réhabilité le rôle de la science dans le domaine de la recherche épidémiologique. En conséquence, nous avons assisté à la reconnaissance de la science, en période de crise majeure, et à l’importance d’avoir un bon système de santé.
Cela dit, Covid19 possède d’autres aspects qui doivent être définis, identifiés et compris dans le contexte de la lutte contre l’épidémie. De ce fait, il faut partir du postulat que l’épidémie est antisociale. Car limiter les risques de Covid19 dépend de la nature des liens sociaux, des comportements, des convictions, des représentations sociales et des attitudes des individus aussi bien que des groupes. On souligne à l’occasion, qu’une crise de cette ampleur exacerbe les mécanismes humains et amène les individus à s’interroger en alimentant la naissance de nouvelles réactions parfois brutales. Cela permet d’expliquer le retour effréné que l’on observe au début de la mise en quarantaine mais dans un contexte mondiale marqué par l’émergence de nouveaux foyers dans le monde, aux Etats Uni, Brasil, en Chine, en Allemagne, en Espagne et en d’autres pays, ce qui laisse dire qu’il est très tôt d’envisager une maitrise de la pandémie. En effet, l’une des caractéristiques majeures du covid19 c’est qu’il est un virus qui attaque en silence. Par conséquence, la non adhésion aux mesures de restriction et de précaution signifie aller droit vers le désastre.
L’anthropologie, de sa part, nous apprend que les peuples sont apparus et se sont habitués durant des siècles à vivre, d’une manière similaire, une situation sociale typique, historique et récurrente suite à un consensus collectif au sens durkheimien du terme. Chaque peuple ou communauté a des traditions, des coutumes et des valeurs sociales aussi bien que des croyances et des modes de pensées qui sont renouvelées et renforcées en fonction des conjonctures et des conditions historiques.
Selon les études que nous présente l’anthropologie, ces peuples ont connu différentes crises fortes et difficiles, mais ils ont réussi, à travers les siècles, à s’en sortir et à se construire à nouveau. Durant ces siècles, ces peuples n’ont jamais été forcés d’arrêter leur vie sociale collective ou d’abandonner leur héritage social et culturel pour des raisons de menace. Mais aujourd’hui, et par ironie du sort, coronavirus (covid19) vient imposer sa loi sur ces peuples. Une situation que l’humanité ne connaissait auparavant, ce qui engendre et produit des réactions certainement forte de la part des différentes composantes des peuples d’une manière de plus au moins silencieuse. Ces mêmes réactions auront des implications profondes selon trois aspects spécifiques :
1) On observe qu’il y a de nombreux marocains qui n’ont pas encore compris la gravité de la situation et qui se comporte avec légèreté à l’égard de l’épidémie. Sans donner droit à ces individus, l’homme est le seul être qui ne peut pas être séparé de ses liens sociaux sauf en cas de folie. Il faut ajouter dans ce contexte que l’homme est le seul être à tisser consciemment des liens sociaux. C’est un fait existentiel qui explique d’un côté pourquoi justement les gens refusent de se plier aux consignes et bravent les autorités.
En parallèle, il faut noter cependant, comment par le biais de spots publicitaires ou des canaux de sensibilisations dédiés au programme de covid19, les médias officiels ont connu une confusion en produisant et en émettant un discours pour le retour à la vie normale. On constate à l’occasion que ces compagnes ont joué un grand rôle dans la production des réactions individuelles et collectives qui expriment l’attachement à ce retour présumé à la vie normale. Pourtant, concrètement et à court terme, c’est une chose impossible vue les données que représente l’état de lieu de l’épidémie.
D’autre part, lorsque nombreux les marocains qui n’ont pas des personnes attaquées par le virus au sein de leurs familles ou que ce n’est pas eux qui sont atteint, même en regardant la télévision, ils leur sont difficile de croire aux résultats ou aux conséquences. Plus encore, il n’est pas impacté par les informations présentées sur les cas recensés porteurs de virus qui sont tous guéris et ainsi sauvés après être hospitalisés et traités. Cela les laisse croire que tout danger est écarté, et qu’il est temps qu’il reprenne sa vie comme avant comme si rien n’était.
2) Dans le climat épidémiologique de Covid19, la vie sociale marocaine est susceptible de changer d’une manière significative qui donnera lieu à une révision de bon nombre de concepts : le concept de liberté, le concept de coexistence ainsi que les manières de pensée collective et bien d’autres concept qui étaient des évidences et objets de recommandation urgente pour lesquels les gens militent habituellement.
Toutefois, on se rend compte que la majorité des marocains ne sont pas préparés à une crise telle que celle-ci. D’autant plus qu’il s’agit d’une crise soudaine et surprenante en terme de taille et d’impact surtout dans un pays comme le Maroc. Concrètement, cela signifie que les marocains n’étaient pas prêts pour ce genre de situation et les politiciens ne font pas l’exception.
Pourtant nous sommes ici confrontés à une crise qui a son impacte négatif dans plusieurs pays dans le monde entier. La reprise de l’activité économique montre bien l’incapacité des Etats à poursuivre le déclin économique, ce qui explique comment ces pays, à travers les dispositions prises, dédramatisent généralement la situation pour un retour à la vie normale.
3) À cela vient se greffer la peur de beaucoup de marocains, non seulement d’être séparé de leur réalité qu’ils se sont faite pour la vivre entant que des marocains, mais plutôt de s’éloigner de ce qu’ils considèrent par évidence comme une chose certaine.
La situation de Corona virus (Covid19) révèle que le marocain souffre d’une phobie d’être coupé et éloigné de tout lien avec son passé. Cette réaction nous invite à la comprendre à partir des thèses fondamentales de la sociologie et de l’anthropologie contemporaine. En d’autres termes, c’est la relativité sociale dont les interprétations constituent des outils de compréhension. D’ailleurs Durkheim et Max Weber ont insisté sur le fait que les valeurs et les normes découlent de l’arbitraire et des relations du pouvoir. Dans ce sens, les arguments philosophiques de Nietzche sur les valeurs se trouvent confirmés.
La lecture sociologique de la réalité, nous amène à comprendre comment la plus part des marocains, dans un même temps, ont l’envie d’échapper à cette certitude et à leur passé qui a fait preuve de son incapacité à faire face à cette crise afin d’évoluer, à travers d’autres activités, vers une nouvelle situation. C’est une question importante parce que tout est sujet à changement, et que la signification des choses change rapidement comme la politique, l’économie, la diplomatie, les moyens matériaux, les outils industriel ainsi que l’internet.
L’internet a fait son apparition comme un moyen de communication incontestable et qui annonce un grand changement dans le système de travail et la création d’autres concepts et de nouvelles méthodes de travail. Il ouvre ainsi une nouvelle aire dans l’histoire de toutes les sociétés et donne les signes d’une transformation de la société marocaine.
4) un autre aspect qui caractérise cette situation c’est la coercition sociale. Il s’agit là de l’oppression qui fait ressentir à tous les marocains leur appartenance à un cadre social qui les dirige lamentablement vers la soumission. Aussi doit-il se conformer, contre sa volonté, à rester confiné dans les maisons et à respecter les conditions de sécurité sanitaire. Durkheim a d’ailleurs toujours parlé du concept de la contrainte sociale qui est considéré parmi les concepts fondateurs de sa thèse. Cependant, Freud voit également la société comme un système qui se caractérise par l’oppression et que la plus parts des gens doivent travailler pour l’existence et la survie de la société et sans se poser de questions.
5) À cet égard, durant la période de confinement la notion du temps chez les marocains a pris un autre sens. Pour expliquer les agissements qui peuvent sembler illogique, il faut revenir à cette notion particulière du temps qu’a le marocain qui est liée au cycle de la nature en rapport avec les saisons et en relation avec les heures de travail et les pratiques religieuses comme la prière et le ramadan. Dans ces conditions tout se passait lentement et toutes les équations étaient adaptées les unes aux autres telle que les équations sociales avec celles économiques. Mais à l’époque du coronavirus, le temps doit avoir une relation du sort et d’existence en rapport avec Corona covid 19. Tous se passe tellement vite au point que les changements sont soudaines et parfois accompagnés de vrais problèmes, Ce qui rend nécessaire la création d’un nouveau type de personnalité sociale, à l’époque de coronavirus et après l’épidémie.
On peut considérer que la situation vécue par les marocains dans cette période se situe d’une part entre la nécessité d’assurer la pérennité de la société marocaine, et de faire en sorte que les structures sociales soient capables de fonctionner, d’autre part voir ce qui reste à chacun pour qu’il puisse prendre une décision en fonction de sa conscience, de son appartenance sociale, de ses conditions économiques et de ce qui lui revient de droit.
C’est dans ce contexte qu’on peut poser la question sur le rapport entre les marocains et la loi. Il est à noter que la société marocaine peut analyser et juger les choses dans les limites de son batail contre coronavirus, et il appartient à chaque individu de savoir à quel point il est nécessaire de se conformer à la société et de savoir ce qu’il doit à la santé. Pourtant, la conformité peut mener à la folie au niveau individuel que collectif dans un environnement à évolution rapide au point à ce que les marocains en parlant du coronavirus, ils doivent s’assurer que leurs institutions fonctionnent bien et le plus rapidement possible.
En conclusion
Le marocain considère que sa protection contre coronavirus relève de la responsabilité du gouvernement. Sauf que se protéger et protéger les autres dépendent exclusivement de chaque individu. Pour ce, tout le monde doit être conscient que chaque individu est responsable dans cette situation.
Contrairement à ce que pense la majorité des marocains, la situation n’est pas si facile, il y’a encore beaucoup de personnes porteurs du virus et qui ne représente aucun symptôme mais qui ne sont pas encore détectés ou contrôlés. Il est donc très difficile de dire que les personnes avec qui chaque marocain a eu un contact, qu’il soit un membre de la famille ou ami ou bien collègue, qu’il n’est pas porteur du virus. La maladie est silencieuse.
Article publié le 22/10/2020 – Revue Marocaine de Psychologie – rmpsy.com