La classe inversée, à l’ère de la Covid-19, pour l’enseignement /apprentissage du français dans le lycée marocain : enjeux et limites.

La classe inversée, à l’ère de la Covid-19, pour l’enseignement /apprentissage du français dans le lycée marocain : enjeux et limites.

Loubna AAOUIRA

Université Ibn-Tofaïl – Faculté des Lettres et des Sciences Humaines -Kenitra

Laboratoire Langage et Société

Résumé :

Le champ pédagogique a toujours été un terrain fertile d’approches et de courants qui diffèrent des principes et des mécanismes mais qui s’inscrivent dans l’ultime objectif d’améliorer la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage, comme le présume d’ailleurs « la classe inversée », une approche déclarée ambitieuse, mise en expérience par des enseignants innovateurs dans plusieurs pays, y compris le Maroc. Cet article s’inscrit dans le cadre d’une recherche que nous menons depuis Septembre 2020, en vue de vérifier les hypothèses selon lesquelles, cette pédagogie inversée a un impact considérable sur  la motivation des apprenants et par conséquent, sur leurs processus d’apprentissage.

Mots clés

Classe inversée – TICE – enseignement/apprentissage – enseignement en présentiel – enseignement à distance

 

Introduction

Les approches et les méthodes pédagogiques n’ont cessé d’évoluer et d’émerger faisant agiter les écoles et les systèmes éducatifs. En effet, plusieurs d’entre elles ont déclaré leur rupture totale avec les approches qui les précédent, tandis que d’autres ont essayé de créer un continuum avec les courants antérieurs tout en traçant leurs chemins d’innovation, c’est le cas de « la classe inversée », une méthode qui a connu un véritable engouement partout dans le monde, commençant des États-Unis, se propageant en Europe et arrivant récemment en Afrique, notamment au Maroc. Qu’est-ce que « la classe inversée » et en quoi se distingue-t-elle de la classe traditionnelle ? Quelles sont ses points forts et ses limites ? En quoi les ressources et les outils numériques sont-ils indispensables à sa pratique et que pourraient être les possibilités de l’appliquer dans le lycée marocain pour l’enseignement/apprentissage du français ?

 

Entre ‘classe inversée’ et ‘classe traditionnelle’…

La classe inversée ou de son appellation d’origine ‘Flipped Classroom’ est une pratique pédagogique qui a été introduite par Jonathan Bergmann et Aaron Sams, de l’école Woodland Park High School, Colorado aux États-Unis vers la fin des années 1990. Selon ces deux pionniers, l’idée était de créer une recombinaison, voire un nouvel agencement des temps et des lieux de l’enseignement/apprentissage en proposant des cours sous forme de vidéo à consulter en dehors de l’espace-temps de la classe, le moment où ce dernier sera consacré à l’accompagnement des apprenants dans leurs apprentissages. Avec des mots plus simples, la classe inversée peut se définir par tout ce qui est traditionnellement fait en classe, l’est à la maison, tandis que ce qui est fait à la maison, l’est en classe (Lage, Platt & Treglia, 2000). En fait, les missions et les tâches accomplies par l’apprenant et l’enseignant dans la classe traditionnelle pour l’apprentissage du français diffèrent de celles exécutées dans la classe inversée.  Dans le premier modèle, l’élève doit : écouter le professeur, lire des documents (textes, images…), faire des exercices de langue ou de rédaction en classe, et à la maison, il est supposé réviser et apprendre les cours, faire des exercices et des recherches. Pour le deuxième modèle, c’est-à-dire, dans la classe inversée, l’apprenant est chargé de visionner, à la maison, les cours à son rythme autant que possible et faire ensuite le travail demandé, alors qu’en classe, l’enseignant doit vérifier si l’apprenant assimile bien tout ce qu’il a vu ou fait à la maison, dans ce cas-là, ce dernier aura de nouveaux défis, sinon plus d’explications et d’exercices.

Pourquoi « la classe inversée » ?

« L’idée essentielle de la classe inversée ne réside pas dans la médiatisation numérique des cours mais dans la volonté de retrouver du sens à la présence, à la rencontre entre les élèves et avec l’enseignant. — » réclame Marcel LEBRUN[1]. La classe inversée peut être doublement bénéfique, et ce pour les deux pôles actifs du triangle didactique : l’enseignant et l’apprenant. En effet, la classe inversée peut générer différents types d’interactions qui peuvent avoir lieu entre « élèves-élèves » et « élèves-enseignant » d’une manière personnalisée et pertinente, comme le soulignent Jonathan Bergman et d’Aaron Sams dans leur livre « Flip your classroom ».  Ils estiment qu’outre l’optimalisation des interactions en classe, la classe inversée favorise l’autoapprentissage en mode non présentiel, comme elle   assure une certaine autonomie cognitive chez l’apprenant, puisqu’avoir accès aux savoirs ne nécessite pas forcément la présence directe de l’enseignant et que ce dernier peut être libéré pour soutenir l’apprentissage des apprenants en difficultés. Encore plus , elle permet d’individualiser les rythmes d’apprentissage ; Comme les  apprenants diffèrent du style d’apprentissage, ils n’arrivent pas à suivre le cours et  à y réagir au même grés et rythme, cependant lorsque le cours est en vidéo, ils peuvent la mettre en pause pour enregistrer une expression ou méditer une  idée, ainsi, ils se familiarisent avec le cours  , ce qui permet d’économiser le temps en présentiel et d’en profiter le maximum possible pour poser des questions pertinentes , les différences de niveau sont donc mieux gérées. La classe inversée sert également à responsabiliser l’apprenant, en fait, en lui donnant un corpus ou une capsule audio ou vidéo et lui demandant par la suite de les consulter et d’en tirer des déductions, l’apprenant devient plus responsable, voire un acteur actif de son apprentissage. Du côté du professeur, elle le pousse à revoir ses pratiques pédagogiques, ce qui l’aide assurément à développer ses habiletés professionnelles, d’une part, comme elle crée la possibilité de dédoubler sa présence, désormais l’apprenant la rencontre dans les capsules vidéo, les audios, les documents commentés et dans la classe en présentiel, ce qui donne plus de sens au cours en présentiel d’autre part.

Qu’en est-il des limites et des exigences ?

Comme toute expérience pédagogique, la classe inversée pose certains problèmes dont les plus marquants sont liés à la gestion technique des outils et ressources numériques, sans oublier les inégalités d’ordre cognitif et social existants entre les apprenants. Ces derniers sont appelés à faire preuve de motivation et à adopter une posture plus active que ce soit à la maison ou en classe pour pouvoir travailler en autonomie.

En fait, plusieurs d’entre eux  ont du mal à s’éloigner du modèle traditionnel pour apprendre, ils trouvent primordial l’accompagnement du professeur durant toutes les étapes du processus de l’apprentissage, tandis que d’autres, ont un accès très limité à internet et  aux ressources numériques, ce qui pose un réel problème puisque la classe inversée est une approche ouverte qui met en œuvre des activités pédagogiques soutenues par la technologie numérique en dehors de la classe comme le soulignent les professeurs Kim, Khera et Getman, du Center for Scholarly Technology de l’University of Southern California à Los Angeles, l’usage du numérique s’avère alors indispensable pour la mise en œuvre de cette approche.

Dans le même ordre d’idées, elle exige de l’enseignant inverseur une certaine souplesse techno pédagogique pour pouvoir planifier des séquences médiatisées visant à stimuler l’apprentissage en groupe tout en travaillant l’autonomie de chaque apprenant. Pour Nizet et Meyer (2015) « la création de capsules d’autoformation (planification, scénarisation, élaboration du support visuel et sonore) s’appuie sur une planification didactique sérieuse, les contenus transmis sur support numérique devant être structurés de manière claire et pédagogique », donc la mise en place de cette approche, nécessite des dispositions mentales et matérielles de la part de l’enseignant et de l’apprenant.

La classe inversée pour l’enseignement/apprentissage du français au secondaire qualifiant : partage d’expérience

À l’heure de l’épidémie Covid-19, le Ministère de l’Éducation Nationale, de la Formation Professionnelle, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Scientifique marocain a déclaré d’importantes mesures préventives afin d’assurer la continuité pédagogique pour le reste de l’année scolaire 2019/2020, comme l’arrêt des cours en présentiel et la création de plusieurs plateformes pédagogiques. En effet, à partir du 15 Mars 2020, le Système de Gestion Scolaire ‘MASSAR’ a ajouté une case réservée aux classes virtuelles qui vise la création des sections virtuelles accessibles via le portail Microsoft Teams. Ce portail offre la possibilité de donner des cours, lancer des exercices, organiser des réunions et même faire des évaluations formatives. Puisque la situation épidémiologique n’a pas beaucoup changé, le ministère de l’éducation a essayé de trouver de nouvelles alternances afin d’assurer une continuité pédagogique pour la rentrée scolaire 2020/2021. Dès lors, les Académies Régionales de l’Éducation et de la Formation (AREF) du Royaume, entre autres, celle de la région de Tanger-Tétouan-Assilah, ont décidé de balancer plusieurs établissements scolaires des différents cycles vers l’enseignement à distance, tandis qu’elles ont prévu l’enseignement en alternance pour les autres, la formule la plus appropriée reste à être déterminée par les directeurs des établissements scolaires, et cela en fonction  du nombre des apprenants et de la disposition d’un environnement techno-pédagogique au sein de l’établissement. Quant aux enseignants, des formations organisées par le programme GÉNIE[2] ont été programmées en leur faveur pour qu’ils s’approprient   les outils TICE[3], mis à leur disposition, en vue d’une utilisation efficace en classe et hors classe.

En effet, toutes ces circonstances et initiatives construisent, à notre sens, un contexte scolaire qui peut tolérer une nouvelle gestion de la classe qui est « la classe inversée », surtout pour l’enseignement/apprentissage du français et c’est ce que nous avons essayé d’expérimenter. Puisque l’établissement scolaire dans lequel nous enseignons a choisis la formule alternative, c’est-à-dire, la moitié de chaque classe reçoit ses cours pendant une semaine et l’autre moitié les reçoit pendant la semaine suivante, nous avons procédé à faire un sondage auprès des apprenants de quatre classes : TCSF1, TCSF2, 1BACSA et 1BAC PLOG2, afin de vérifier leurs rapports au numérique, s’ils disposent des smartphones ou d’ordinateur et s’ils ont un accès régulier à Internet.    En fait, 97% des réponses ont été affirmatives, voilà nous avons passé aux étapes suivantes : dans un premier temps nous avons créé un groupe pour chaque classe sur WHATSAPP, en attendant que la totalité de la classe rejoint TEAMS. Dans un deuxième temps, nous avons expliqué les principes et la démarche à suivre pour la mise en œuvre de «la classe inversée » :  la répartition temporelle des cours en présentiel et à distance, comment avoir accès à TEAMS et aux autres sources d’informations, ainsi que le règlement intérieur du groupe classe sur WHATSAPP.   Après, nous avons procéder à communiquer, au préalable, le contenu de chaque séquence didactique aux élèves (les textes à lire, les questions de compréhension et/ou de langue, les vidéos supports d’analyses ..) comme nous avons veillé , simultanément, à planifier notre projet pédagogique d’une manière à ce que plusieurs cours soient convertissables en capsule audio et/ou vidéo.

À présent, nous pouvons dire que la quasi majorité les apprenants attestent d’un degré très considérable de motivation qui se manifeste en une implication remarquable durant les cours en présentiel. En fait, cet espace virtuel qui est le groupe classe sur WHATSAPP, s’avère un réel champ de partage et d’interactions vifs entre les apprenants et nous-même. Les apprenants arrivent en classe préparés, ayant des idées tangibles sur les cours et déterminant des questions précises sur les contenus et les difficultés qu’ils ont rencontrées, ce qui aide, entre autres, à mieux gérer le cours en présentiel et à nous pencher vers plusieurs prolongements possibles : activités de remédiation et de soutien pédagogiques, ouvertures sur d’autres sujets …etc.

Conclusion

Certes, juger l’efficience de toute approche pédagogique demande la mise en observation des performances et des effets qu’elle produit sur les apprenants comme sur les enseignants à court et surtout à long terme. Cependant, cela n’empêche de vanter les avantages et les points forts de « la classe inversée », cette démarche prometteuse qui offre de nouvelles perspectives pédagogiques et une nouvelle gestion de la classe, plus décentralisée aménageant un accompagnement individualisé ou en petit groupe dans le cadre du projet pédagogique de la classe, un projet désormais plus souple, plus actif et plus mouvementé.

 

 

Bibliographie

  • Marco Guilbault et Anabelle Viau-Guay, « La classe inversée comme approche pédagogique en enseignement supérieur : état des connaissances scientifiques et recommandations », Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur [En ligne], 33(1) | 2017, mis en ligne le 06 mars 2017, consulté le 26 juillet 2020. URL : http://journals.openedition.org/ripes/1193
  • Isabelle Jourdan, « Présence de l’enseignant en classe  », Recherches & éducations [En ligne], HS | 2018, mis en ligne le , consulté le 02 août 2020. URL : http://journals.openedition.org/rechercheseducations/5958
  • Ait, M. (2016). L’impact de la méthode inversée sur un cours d’informatique : cas de l’université marocaine. net, mise en ligne le mardi 9 août 2016. Récupéré le 04 mars 2017 de http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article405
  • Bergmann, J. et Sams, A. (2014). La Classe inversée. Québec : Editions Reynald Goulet inc. Technologie de l’éducation. p.152. ISBN : 978-2-89377-508-1
  • Bissonnette, S. et Gauthier, C. (2012). Faire la classe à l’endroit ou à l’envers ? Formation et profession 20(1). Récupéré de http://formationprofession.com/files/numeros/1/v20_n01_173.pdf
  • Devauchelle, B. (2014). Faut-il inverser l’enseignement, l’apprentissage ou même l’établissement ? Récupéré le 04 mars 2017 de http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/11/14112014Article635515496701836979.aspx
  • Faillet, V. (2014). La pédagogie inversée : recherche sur la pratique de la classe inversée au lycée. Sticef, 21, p. 651-665. Récupéré le 02 mars 2017 du site de la revue : http://sticef.univ-lemans.fr/num/vol2014/23r-faillet/sticef_2014_faillet_23rp.pdf
  • Le Jeune, J. M. (2016). La classe inversée : le triangle pédagogique sens dessus dessous. Gerflint. Synergies Turquie n° 9. p. 161-172. Récupéré de http://gerflint.fr/Base/Turquie9/le_jeune.pdf
  • Lebrun, M. (2014). Classes Inversées, étendons et « systémisons » le concept ! Essai de modélisation et de systémisation du concept de classes inversées. Récupéré le 04 mars 2017 de http://lebrunremy.be/WordPress/?p=740
  • Kim M. K., Kim S. M., Khera O., Getman J. (2014), “The experience of three flipped classrooms in an urban university: an exploration of design principles”, The Internet and Higher Education, manuscript accepted
  • Classes inversées et pistes pédagogiques, « enregistrement vidéo », Marcel Lebrun,18jiun 2019.

[1] Technopédagogue belge, docteur en sciences (physique), professeur en sciences de l’éducation et conseiller au Louvain Learning Lab (précédemment Institut de pédagogie universitaire et des multimédias – IPM) de l’Université catholique de Louvain (UCLouvain) à Louvain-la-Neuve, en Belgique.

[2] GÉNéralisation des Technologies d’Information et de Communication dans l’Enseignement

[3] Çù !oLes technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement

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