L’environnement et le comportement des paysans –agriculteurs marocains: Quelle relation?

L’environnement et le comportement des paysans –agriculteurs marocains: Quelle relation?

Pr. Elmostafa Haddiya
Introduction:
Pour accroître le rendement et protéger les cultures de fruits, des légumes, des céréales, des légumineuses etc. contre les ravageurs et les maladies, les agriculteurs / paysans recourent à l’usage des produits chimiques (produits phytosanitaires) tels que les insecticides, fongicides et herbicides. L’usage de ces pesticides en tant que comportement humain vis-à-vis de l’environnement, est déterminé par un ensemble de facteurs relevant essentiellement de processus cognitifs multiples notamment des perceptions et des représentations qu’on a de la relation avec cet environnement. Dans cet exposé, Il sera question de saisir la conception des agriculteurs / paysans vis-à-vis de l’environnement, et par là même le type de relation qu’ils entretiennent avec lui. L’approche psychosociale de l’environnement constitue le référentiel théorique et méthodologique pour le traitement de cette question. Elle nous permettra de situer les questionnements et les réponses relatives au comportement d’usage à l’égard de l’environnement dans le cadre épistémologique mis en exergue dans les diverses études et recherches en psychologie de l’environnement et de la santé. Qu’est ce alors que la relation Homme-Environnement ? Celle-ci doit être – selon G.N. Fischer-interprétée à partir de deux pôles dialectiques : l’homme organise et produit son milieu en fonction de multiples facteurs d’éducation, de conditionnement, de normes sociales et économiques qui constituent autant de valeurs inscrites dans l’espace ; à son tour, l’environnement exerce une influence sur le comportement humain ; celle-ci n’est pas uniquement le résultat de l’ensemble des possibilités matérielles offertes ou de leurs contraintes, mais aussi de représentations liées à ces valeurs.(1)
En effet, cette approche nous permettra de comprendre le comportement « pollueur » de l’environnement par les paysans/agriculteurs dans certaines régions agricoles marocaines, « Abda, Doukkala). Comportement devenu malheureusement très répandu sur le plan planétaire ; car la pollution n’est pas un privilège des pays industrialisés : le développement de l’industrie, l’intensification de l’agriculture et les possibilités insuffisantes de traitement des déchets dans le tiers monde y ont accentué la mise en danger de l’environnement (Klaus Muller-Hohenstein : pp : 187-192) p :187.)
L’environnement dans la science psychologique :
La notion d’environnement a fait depuis plusieurs années l’objet d’une nouvelle compréhension d’autant plus intéressante qu’elle considère l’environnement physique et l’environnement social comme étant deux dimensions indissociables de la réalité. La psychologie a en effet donné un nouveau contenu à la notion d’environnement, les travaux de K. Lewin (1972) avaient initialement mis en lumière la dimension psychologique de l’espace en montrant que la personne et son environnement constituent un système d’interdépendance… Il dégage le concept d’espace vital comme fondement de l’interaction entre l’individu et son environnement (p : 291) (Fischer).
L’environnement peut être saisi d’un point de vue psychologique selon trois niveaux distincts :
Il désigne soit l’ensemble des lieux physiques aménagés par l’exercice des activités données, soit il se définit comme un territoire qui correspond psychologiquement à un certain découpage en zones subjectives délimitées par des barrières, elles-mêmes psychologiques, en fonction de la manière dont un individu ou un groupe se représente un espace donné et selon la manière dont il est vécu. Le territoire c’est l’espace vécu. Enfin l’espace peut être entendu comme une place, c’est-à-dire la partie d’un environnement occupée par un individu, ou un groupe et aménagée directement en fonction de ses besoins personnels et sociaux (292) (Fischer)
L’approche psychosociale de l’environnement portera donc sur l’analyse des processus d’interaction homme / environnement. Il s’agit d’une interaction mutuelle entre l’homme et son environnement suivant l’organisation et l’aménagement de cet espace, la manière et le mode d’interaction que l’homme entretient avec lui ; selon aussi les représentations et la perception qu’il se fait de cet environnement. Les préoccupations croissantes liées à la dégradation de l’environnement et ses conséquences sur les écosystèmes et la santé nécessitent le développement de méthodes et d’outils de diagnostic, de protection et de gestion, voire de remédiation et de réhabilitation.
Cette intervention a pour objectif d’échanger et de débattre sur les problématiques actuelles de la dégradation de l’environnement souvent différentes d’une région à l’autre (déchets, assainissement, pollutions, dégradation d’habitats,…) et les mesures à développer (dépollution, traitement des émissions et des déchets,…) pour réduire les risques environnementaux et sanitaires. Ces risques se trouvent aujourd’hui exacerbés par les changements climatiques.
Consommation des pesticides au Maroc(1)
A l’instar des pays à économie de transition, le Maroc, possède sa part dans le marché mondial des produits chimiques à usage industriel et agricole et depuis long temps, ce pays ne cesse de développer les moyens et les infrastructures nécessaires à la gestion de ces produits.
Le Maroc, qui compte aux environ de 30 millions d’habitants dont 50% en milieu rural et dont 80% de la population rurale travaille dans le domaine agricole, secteur principal de l’utilisation des pesticides, possède une assise réglementaire, structurelle et institutionnelle dans le domaine des pesticides.
Cependant et comme par ailleurs, la prédominance de l’avantage donné à la valeur économique générée par ces produits a laissé apparaître de conséquences environnementales graves inhérentes à leur mauvaise utilisation et à leur gestion irrationnelle.
Le domaine d’utilisation des pesticides concerne principalement 1). l’usage agricole essentiellement pour la protection des cultures et de la forêt et les grandes luttes contre les moineaux , les rongeurs et le criquet pèlerin, 2) la santé publique pour la désinfection, la désinsectisation et la dératisation et 3) la santé animale pour l’hygiène des locaux et la protection des animaux contre certains insectes.
Au cours des dernières années, le Maroc a importé, annuellement une moyenne de 9000 tonnes de produits finis. La fluctuation de la consommation des pesticides au Maroc, demeure largement tributaire des conditions climatiques.( Bachiri Najib, pesticides maroc : les impacts des pesticides).
Utilisation des pesticides en agriculture
Dans le domaine de la protection des végétaux, les quantités de pesticides importées sont essentiellement consommées au niveau des grands périmètres irrigués (Gharb, Loukkos, Tadala, Doukkala, Haouz et Souss Massa). Les cultures concernées par l’utilisation des pesticides sont essentiellement les cultures maraîchères conduites sous abris plastiques ou en plein champ, le bananier, les cultures florales (œillet et rosier) conduites sous abris plastiques, les agrumes, les céréales, la vigne, les rosacées, le coton, la betterave à sucre et l’olivier. Presque 50% de la consommation nationale en pesticides revient aux cultures maraîchères et aux agrumes .
Les pesticides sont aussi utilisées dans la lutte contre les moineaux et rongeurs qui causent des dégâts considérables sur les céréales, et d’une manière occasionnelle et intensive dans la lutte anti-acridienne. Pour la protection de la forêt se sont essentiellement les biopesticides qui sont utilisés.
D’une manière générale, l’évolution des catégories de produits phytosanitaires, montre que ce sont surtout les fongicides et les insecticides qui sont les plus importants suivis des nématicides et des herbicides (Bachiri Najib, pesticides maroc : les impacts des pesticides).
L’agriculteur / paysan : Quel comportement environnemental ?
Comment l’agriculteur/paysan marocain se représente son environnement ? Quelle signification lui octroie dans sa vie sociale ? Est-ce que l’environnement constitue pour lui un espace vital à défendre contre tout usage malveillant et exagéré des pesticides des pollueurs de tout genre ? Peut-on dire que l’environnement est pour l’agriculteur/paysan marocain un produit à consommer excessivement sans tenir compte des effets néfastes sur la santé, l’atmosphère, l’air, l’eau, les forêts, etc. ? Est-ce que l’usage des produits chimiques mentionnés ci-dessus en tant que comportement fréquent dans les compagnes marocaines, obéit à un guide pratique, à des conseils directifs de la part des spécialistes dans le domaine ? De telles questions soulevées clarifient à travers les réponses que l’on va y apporter l’univers représentationnel, cognitif des agriculteurs/paysans dans les compagnes marocaines. Bref elles nous mettent directement en face du type de système culinaire qui en résulte, un type d’alimentation nourri et imprégné de produits nocifs, et la respiration d’air polluée dangereuse pour la santé et la nature physique.
Effectuant une enquête dans ces deux régions connues par leur importance agricole, nous présentons certains aspects de comportements relatifs aux problèmes de pollution de l’environnement. On ne traite pas ici des différentes formes de dégradations des forêts, causées par l’homme, ni des problèmes d’érosion qui portent atteinte à la qualité de vie dans un environnement sensé être l’objet d’attention chez les différents usagers dans les divers secteurs de la société .
Résultats d’une enquête :
L’approche psychologique et psychosociale appliquée à l’étude de l’environnement considère ce dernier comme un objet socialement construit, puisqu’il fait l’objet de perception, de représentations et d’attitudes dont l’impact sur le comportement à son égard est évident. Celles-ci déterminent ainsi notre façon d’agir et de nous conduire vis-à-vis de l’environnement.
Ayant fait plusieurs études en milieu rural relatives aux problèmes de la socialisation et du vécu des ruraux, nous avons effectué une enquête par une série d’observations et d’interviews sur le terrain auprès des ruraux agriculteurs/paysans et de certains responsables du secteur agricole de la région (Doukkala-Abda) à fin de clarifier notre problématique.
Il s’agit en fait de multiples rencontres avec les propriétaires des terres cultivées « bour » (Abda) et irriguées (Doukkala), par le biais d’un canevas d’entretien semi-directif inspiré des questions posées ci-dessus. Ce canevas est élaboré autour de deux axes principaux :
Ψ L’usage des produits chimiques : quand, comment et pourquoi.
Ψ Guide pratique d’usage : connaissance du contenu des produits utilisés, suivi éventuel des conseillers agricoles, conscience du niveau de dangerosité sur la santé, la vie et la nature.
L’enquête à touché 45 agriculteurs/paysans répartis selon le type de terres cultivées comme suit :
Ψ 20 agriculteurs en terre « bour », dont 12 sont des propriétaires de lots de plus de 12 hectares.
Ψ 25 agriculteurs/propriétaires de cultures irriguées de 1.5 hectares et plus.
Tous les cultivateurs font l’usage des produits chimiques à des degrés divers ; usage dicté par les dispositions financières des cultivateurs, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de frein pour recourir à cet usage que le frein de l’insuffisance matérielle et financière. Tant que les moyens financiers sont suffisants, on opte aisément et parfois sans limites pour le choix des produits chimiques variés dans le but de protéger les cultures, de fructifier et accroître les rendements.
En ce sens, l’environnement, espace agricole n’est qu’un produit à consommer et à exploiter sans mesures sanitaires.
 70% des propriétaires / cultivateurs utilisent les produits chimiques dans un but lucratif sans l’accompagnement des conseillers et les consignes des spécialistes, ingénieurs agronomes entre autres, dans le secteur agricole, sans respect ni de la loi en vigueur, ni la période…
 L’usage des produits chimiques est considéré par les cultivateurs des deux types de terre (bour et irriguées), une manne, un moyen pour la mise en valeur de leurs champs. Un champ qui n’est pas traité est de valeur moindre par rapport à celui embourbé de produits chimiques divers. « On dit que ces pesticides entre autres, sont des médicaments pour guérir et donner de l’énergie aux diverses cultures ». On parle aussi d’une « médicalisation » des champs.
 On constate chez les grands propriétaires une certaine méfiance à l’égard des ingénieurs agronomes ; ils les assimilent aux inspecteurs de l’état qui ne cherchent qu’à leur « faire du mal par leur mauvaise foi ». On a peur de subir des impositions et de payer des indemnités relatives aux mauvais usages des pesticides. Ils cherchent à éviter l’accueil de tels ingénieurs agronomes dans leurs propriétés.
II s’agit en fait de l’augmentation des quantités d’engrais minéraux, d’herbicides et de pesticides, et surtout leur mauvaise utilisation, qui risquent d’entraîner une dégradation croissante de l’environnement. Comme nous l’avons souligné ci-dessus, ce phénomène existe dans ces régions comme dans le reste du Maroc , sinon davantage dans certaines régions dont le processus d’industrialisation est nettement poussé.
Conclusion
Selon Najib Bachiri au Maroc, Les pesticides à usage agricole sont régis par le Dahir du 2 décembre 1922 portant règlement sur l’importation, le commerce, la détention et l’usage des substances vénéneuses, par un Arrêté d’application du 9 septembre 1953, réglementant le commerce des substances et des préparations phytosanitaires et un troisième Arrêté du 15 Juin 1965 portant obligation la déclaration de mise en vente et de distribution des produits pesticides. Les substances vénéneuses sont constituées par celles destinées au commerce, à l’industrie, à l’agriculture et à la médecine humaine et vétérinaire. (Najib Bachiri, Idem)
Actuellement, cette base juridique ancienne s’avère insuffisante, notamment dans le domaine de la protection de l’environnement , de la santé humaine et animale. De ce fait, une nouvelle loi (n°42-95) relative au contrôle et à l’organisation du commerce des produits pesticides à usage agricole a été promulguée le 15 mai 1997, un Décret n°2-99-106 du 5 mai 1999 relatif à l’homologation des Pesticides à usage agricole et un Décret n°2-99-105 du 5 mai 1999 relatif à l’exercice des activités d’importation, de fabrication et de commercialisation des Pesticides à usage agricole ont été publiés.
Malgré ces efforts , on assiste actuellement à un vide réglementaire dans le domaine de gestion des pesticides utilisés en santé et en hygiène publique( Importation, fabrication , commercialisation ,usage , emballage, étiquetage ..etc.). Afin de pallier à ce manque , le Ministère de la Santé élabore un projet de décret qui permettra de réglementer les différents aspects de la gestion de ce type de pesticides. Ce décret sera élaboré en application au Dahir du 2 décembre 1922 portant règlement sur l’importation, le commerce, la détention et l’usage de substances vénéneuses. (Najib Bachiri, Idem)
Bibliographie
1 – Bachiri Najib, pesticides maroc : les impacts des pesticides
www.protectiondesrecoltes .fr/c9/c
2 – Halim Abdeljalil, Structures Agraires et changement social au Maroc. De l’iqta au capitalisme, FLSH Dhar El Mahraz Fes, 2000
3 – Fisher Gustave-Nicolas : La psychologie sociale, Paris, Editions du Seuil, 1997
4 – Sous la direction (Bonardi Christine et autres) : Psychologie sociale appliquée : Environnement santé et qualité de vie, 2002